La Premiere Guerre mondiale a bouleverse le systeme de pensee et de valeurs sur lequel reposait l`Occident. Les ecrivains en temoignent a leur maniere, et certains d`entre eux ont eprouve le besoin d`inventer de nouvelles formes afin de narrer la violence indicible qu`ils ont souvent vecue de pres. Sebastien Japrisot appartient a la troisieme generation de l`apres-guerre, nourrie d`un pacifisme inconditionnel et revenue egalement des experimentations du postmodernisme litteraire. Dans Un long dimanche de fiancailles, recit de l`enquete que mene une jeune femme pour retrouver son fiance disparu dans une tranchee nommee Bingo Crepuscule, la forme codee du roman policier lui fournit un cadre d`ecriture qui puisse rendre compte des tensions entre Histoire officielle et histoire individuelle, memoire lacunaire et realite des faits. L`inexactitude, la non-coincidence entre les temoignages, et surtout le delire interpretatif dans lequel tombe tout detective patente sont autant de traces d`un Reel -psychique et historique- inatteignable. Le roman est tisse des recits de ceux qui ont vecu l`episode de Bingo Crepuscule, ou de ceux qui y ont perdu leurs proches. Ces recits en marge de l`Histoire, malgre leurs failles et leurs incoherences, refletent chacun une part de verite, celle de leur dechirure, de leur traumatisme dans une guerre qu`ils/elles ont subie. Si le deuil est accompli a travers l`elaboration symbolique de leur perte, aucun n`est libre de son passe. Celui-ci subsiste au plus profond du sujet, de meme que la violence historique, noyee dans les actes de commemoration officielle, a vraiment ete. En-deca de tous les signifiants aleatoires qui le designent, le Reel “revient toujours a la meme place”.