Le Mans, ville d`une fameuse compagnie d`assurances et de la course automobile, cache un fait divers legendaire depuis quatre-vingts ans. En effet, un soir du fevrier 1933, les deux bonnes, nommees Christine et Lea Papin, assassinent sauvagement leur maitresse et sa fille. Le corps des deux victimes est frappe a coup de pichet d`etain et mutile avec le couteau. De plus, les yeux des morts sont arraches a la main et jetes dans l`escalier. Au lendemain du drame, la France entiere decouvre cet horrible crime hors du commun. Apres les journalistes manceaux et parisiens, c`est au tour des intellectuels et des ecrivains qui s`interessent a cet acte inoui. La presse de gauche comme L`Humanite n`hesite pas a denoncer la maltraitance de la famille bourgeoise a l`egard des bonnes. Simone de Beauvoir partage elle aussi cet avis. Quant a Jacques Lacan, psychanalyste renomme de l`epoque, il remaque toutefois un profond desequilibre mental chez les deux jeunes meurtrieres. Aux intellectuels succedent les ecrivains et cineastes qui s`inspirent largement de cette affaire dans leurs creations litteraires ou filmiques. Jean Genet, homme maudit comme Christine et Lea, traite pour la premiere fois ce fait divers dans sa piece, Les Bonnes. Nico Papatakis, cineaste d`origine grecque, adapte a sa maniere la piece de Genet. Loin d`etre enceveli dans la memoire du passe, ce fait divers est encore evoque par Ruth Rendell dans son roman A Judgement in stone. D`ailleurs, ce roman donne le principal motif au film de Claude Chabrol, La Ceremonie. L`interet des chercheurs et la passion des cineastes sur l`affaire Papin ne s`estompent pas au XXIe siecle. En 2000, Jean-Pierre Denis et Claude Ventura tournent a leur maniere le film traitant le meme sujet. Un crime atroce commis par deux bonnes dans les annees 30 de la France profonde est ainsi devenu une legende mysterieuse. Pour ce qui est de la vraie cause de la folie des deux bonnes, il serait impossible d`apporter une reponse unanime. Pour conclure cet article sur l`affaire Papin, nous chercherons une explication dans les yeux arraches des victimes. La decouverte de l`inceste par la maitresse et sa fille pourrait etre le point de depart de la violence extreme des bonnes. Temoins de l`acte tabou, les yeux des victimes doivent etre donc detruits par les jouisseuses du plaisir interdit. Pourtant, Christine et Lea n`ont jamais reussi a effacer completement de la memoire des gens et des ecrivains leur acte atroce, unique et insense d`ou l`interminable reinterpretation posterieure.