Comme beaucoup d`autres domaines artistiques, le cinema a longtemps ete un espace ou les femmes cineastes souffraient sous le joug du systeme patriarchal et ne parvenaiet pas a obtenir une relative egalite avec leurs partenaires masculins. Apres mai 68, les annees 1970, age d`or pour le cinema feminin, ont amorce un processus de feminisation du cinema. Parmi les realisatrices revoltees contre le cinema masculinise par le patriarcat, Chantal Akerman etait la plus remarquable par sa nouvelle facon de faire des films. La realisatrice qui a ete influence par le cinema experimental s`inscrit dans un mouvement post-nouvelle vague, avec une esthetique proche de celle de Philippe Garrel. , deuxieme long metrage de Chantal Akerman, fait coincider le temps de l`histoire et le temps du recit. Le film raconte la revolte d`une veuve solitaire, enfermee dans son espace prive, dans son foyer qui est loin d`etre un havre de paix. A l`origine de sa revolte, l`oppression que lui fait subir la societe patriarchale: elle est victime de l`exploitation domestique (ses gestes repetitifs du quotidien) et sexuelle (sa prostitution pour pouvoir nourrir son fils taciturne). Les effets du langage cinematographique sont reduits au minimum. Le minimalisme du film qui se reflete dans le choix de plans fixes et dans le quasi silence de la bande-son denie des principes du cinema classique hollywoodien. Contrairement a ce dernier, denie aux spectateurs masculins deux sources principales du plaisir visuel: le voyeurisme sadique et la scopophilie fetichiste. La forme anti-classique du film demontre la perverse subtilite avec laquelle le cinema hollywoodien camoufle son discours politique dominateur. Le parti pris de Chantal Akerman en tournant le film a ete de filmer l`oppression du pouvoir masculin et de rendre insupportable l`enfermement du foyer aux spectateurs. Degageant un sentiment sinistre, sans chaleur, la maison de Jeanne ressemble a ≪un camp de concentration confortable≫ qui deshumanise lentement ses prisonniers. Quand ses pulsions de vie, sa libido, refont surface a la suite du plaisir sexuel, Jeanne refuse de vivre enfermee dans son espace prive etouffant en tuant son client, le symbole du sujet reprimant. Bien qu`elle detruise le pouvoir masculin, Jeanne ne ressemble en rien a la femme fatale du film noir, la femme-icone cree par le cinema classique hollywoodien pour annihiler la menace que le corps feminin genere.