Alberto Manguel a avoue, dans son oeuvre celebre A History of Reading, qu'il avait connu le monde plus souvent en lisant des livres qu'en vivant une vie reelle. C'est aussi le cas de Julien Sorel, heros du Rouge et le noir : la lecture concernant Napoleon Bonaparte decide en effet la pensee et l'action de ce jeune homme, nous semble-t-il. Au demeurant, il serait impossible de definir l'identite de Julien sans considerer sa lecture et son intelligence.
Avec Eugene de Rastignac du Pere Goriot, Julien Sorel represente les jeunes heros romanesques qui se caracterisent par l'ambition sociale dans la litterature française du XIXe siecle. Pour s’elever, Eugene profite de son « sang bleu » : ses parents et ses allies aristocrates l'aident a ouvrir les portes du monde parisien. Mais Julien n'a ni sang bleu ni argent. Neanmoins, il devient precepteur des enfants d’un maire, secretaire d'un grand seigneur, lieutenant du regiment de hussards ou encore amoureux de femmes aristocrates. Comment est-ce possible ? La lecture et l'intelligence seules l'expliqueraient. Julien est un plebeien exceptionnel qui lit des livres et connaît le latin.
Cet article a pour but d’examiner quelle influence la lecture exerce sur la vie de Julien Sorel. Nous l’avons divise en quatre chapitres. Le premier chapitre porte sur la relation entre la lecture et l'education. La lecture est le moyen d'education le plus important pour l'autodidacte qu’est Julien : le savoir transforme un jeune plebeien en homme ambitieux. Le deuxieme chapitre eclaire la relation entre la lecture et la societe. Le moteur essentiel qui dirige l'ascension sociale de Julien, ce n’est pas l’assistance des femmes mais la lecture des livres. Le troisieme chapitre examine la relation entre la lecture et la politique. La lecture approfondit la pensee politique de Julien contre la Restauration : on pourrait voir la naissance du « vrai intellectuel » au sens que Sartre donne a ce mot. Le quatrieme chapitre etudie la relation entre la lecture et l'amour. La lecture guide la vie amoureuse de Julien : il confond l'amour avec le combat, ce qui resulte de sa lecture des livres concernant Napoleon. La conclusion consiste alors a souligner que la lecture et la reflexion permettent a Julien d'appartenir a ce groupe, dit « the happy few » dont Stendhal parle a la fin de La Chartreuse de Parme.